Chers tous,
Vous nous avez manquĂ© depuis la publication de notre dernier opus, Everything now, le 20 fĂ©vrier 2022. CâĂ©tait il y a 5 mois dĂ©jĂ et on aurait tendance Ă croire que câĂ©tait il y a 1000 ans, ou plutĂŽt dans un autre espace spatio-temporel.
De linĂ©aritĂ© il nây en nâa guĂšre plus : non, câest un mĂ©lange de volatilitĂ©, de loi de Poisson (raretĂ©) et de croissance exponentielle. Bien-sĂ»r il y a des mouvements de fond extrĂȘmement profonds : mais le common wisdom est de faire comme sâil nây en avait guĂšre.
Notre silence a plusieurs explications : la stupeur devant la guerre dâabord (la difficultĂ© Ă raisonner froidement, le drame qui rĂ©veille les pires expĂ©rience familiales et la myriade dâinformations Ă traiter), mais aussi le besoin de regarder en silence les Ă©vĂšnements se combiner et se recombiner sans nĂ©cessairement tomber dans le commentaire court-termiste.
Et à la veille des vacances estivales en Europe (qui est désormais beaucoup en weekend prolongé, parfois dÚs le mercredi, on ne va pas se mentir, mais les économies tournent bien donc tant mieux !), on commence à voir les balles (de tennis, pas de plomb) retomber et surtout, pour paraphraser Platon (ou du moins ce qui lui est attribué) on a envie de dire : « Je sais que je ne sais rien ».
Lorsque lâon a accĂšs aux « off » des grands (au sens du Duc de Saint-Simon ou du philosophe jĂ©suite espagnol Gracian) on est frappĂ© par lâabsolue banalitĂ© des Ă©changes. Un peu comme dans lâexcellent Zero Dark Thirty on aurait envie de croire quâil y a une deuxiĂšme Ă©quipe derriĂšre un rideau ou Ă un Ă©tage plus Ă©levĂ© qui comprend mieux que nous ce quâon se passe, mais il nâen nâest rien. Câest la contraposĂ©e du Everybody Knows de notre ami de cĆur Leonard Cohen : câest Nobody knows.
FlorilÚge de ces choses qui sont arrivées en 5 mois :
âą La guerre indicible en Ukraine qui renvoie lâEurope dans les cordes de lâHistoire ;
âą Lâinflation pas du tout temporaire ;
âą La hausse des taux pour contrer le point du dessus ;
âą La recession liĂ©e au point plus haut qui sâannonce ;
âą La chute des cryptos ;
âą La chute des valeurs boursiĂšres ;
âą LâĂ©mergence dâun sentiment gĂ©nĂ©ral de : on ne sait pas de quoi demain sera fait ;
⹠La majorité relative dans la chambre basse du parlement français ;
âą La droitisation rapide de la politique amĂ©ricaine via la Cour SuprĂȘme ;
⹠Des pénuries à répétition ;
âą Lâexplosion du prix de lâĂ©nergie, qui viendra fatalement Ă manquer cet hiver ;
âą And so on.
Bonne lecture, amitiés,
Grégory
Mark Rothko (1903-1970), Untitled, 1957. Washington, National Gallery of Art
𩾠Cryptoâs last man standing (The Economist, July 5, 2022)
Cette semaine, avec ce superbe article sur le roi des cryptos bros, Sam Bankman-Fried (a.k.a. âSBFâ, que lâon appellera dĂ©sormais ainsi ici), The Economist sâessaye Ă chacun cherche son chat version John Pierpont Morgan, le vĂ©nĂ©rable fondateur de (probablement) la banque la plus puissante du monde.
Rappel des personnages de cette piĂšce :
A ma gauche : SBF, fondateur de la plateforme de trading de cryptomonnaies FTX, dont la fortune sâest effondrĂ©e avec la chute des cryptomonnaies, mais qui capitalise toujours 8 milliards de dollars (versus 26 il y a une centaine de jours).
A ma droite : J.P. Morgan, fondateur de la banque Ă©ponyme, plus puissant animal de Wall Street pendant le Gilded Age (lâĂ©poque de formidable croissance du dernier-tiers du 19Ăšme siĂšcle et qui a marquĂ© lâĂ©mergence de nombre de magnats lĂ©gendaires tels que John D. Rockefeller ou encore Andrew Carnegie).
Depuis quelques mois, pour lâindustrie de la cryptos, câest la dĂ©bandade, avec des entreprises dĂ©faillantes qui se contaminent par un jeu tristement mĂ©canique de vases communicants :
Plusieurs sociétés de crypto-lending, comme Celsius, ont mis la clé sous la porte ;
Plusieurs cryptos censĂ©es ĂȘtre rattachĂ©es Ă des monnaies classiques (et donc « stables » (sic), spĂ©cialement le dollar), les fameux stablecoins, ont totalement failli Ă leur mission ;
Au moins un hedge fund spécialisé dans les cryptos, Three Arrows Capital, a également fait faillite.
En mĂȘme temps, SBF et son empire, FTX, gardent la tĂȘte au-dessus de lâeau, Ă la fois riches de leurs deux levĂ©es de fonds du dĂ©but de lâannĂ©e 2022 (« il y a 4 mois, il y a une Ă©ternité » dirait Joe Dassin) de 400 millions de dollars - une rĂ©alisĂ©e au niveau global et une au niveau amĂ©ricain - et dâun business qui demeure rentable malgrĂ© la chute des monnaies alternatives.
Et dans ce contexte chaotique, Sam Bankman-Fried joue (un peu) le mĂȘme rĂŽle que J.P. Morgan lors de la crise bancaire de 1907 : venir en aide Ă ses petits camarades grĂące Ă une action concertĂ©e. Ainsi en a-t-il Ă©tĂ© du sauvetage de Voyager Digital grĂące Ă un prĂȘt de⊠485 millions de dollars ou encore une ligne de crĂ©dit accordĂ©e Ă la plateforme BlockFi qui a reçu la bagatelle de⊠400 millions de dollars.
Nota bene : depuis la publication de cet article, Voyager Digital sâest placĂ©e sous la loi de la protection des faillites (Chapter 11 donc). A noter que la loi des faillites nâest pas bien adaptĂ©e aux cryptos, ce qui conduit Ă des enregistrements baroques.
Si la comparaison avec un empereur de Wall Street est flatteuse, on doit aussi noter que lâaction rĂ©solue de sauvetage par SBF des entreprises du secteur moins bien loties est probablement une stratĂ©gie dâautant plus audacieuse quâelle fait dâune pierre deux coups : jouer le rĂŽle du bon samaritain dâune part, mais aussi renforcer considĂ©rablement sa position de marchĂ© dâautre part.
« A cynic might point out that SBF might be striking deals with other crypto firms not because he wants to save the industry from collapse, but because he has spotted an opportunity to snap up some of his competitorsâ operations for pennies on the dollar. »
Sam Bankman-Fried â Photographer: Lam Yik/Bloomberg
đ La course aux financements des start-up de la recharge ultrarapide (Les Ăchos, 30 juin 2022)
Par Adrien LeliĂšvre
Nous commençons tous Ă le savoir. En 2035, plus aucun vĂ©hicule neuf ne devra ĂȘtre thermique. Aussi, avec cette rĂ©volution aux airs de vĆux pieux doit-on faire face Ă la triste rĂ©alitĂ© du terrain : une infrastructure de recharge notoirement insuffisante.
Câest donc dans ce contexte que de trĂšs ambitieuses startups (mais aussi les acteurs historiques du secteur de lâĂ©nergie) cherchent Ă se dĂ©velopper Ă la vitesse grand V.
La jeune sociĂ©tĂ© (18 mois !) Electra â spĂ©cialisĂ©e dans les bornes de recharges ultra-rapide â a ainsi complĂ©tĂ© son tour dâamorçage de 15 millions dâeuros par un nouveau tour de⊠160 millions dâeuros (oĂč lâon retrouve notamment Eurazeo). Electra veut disposer dâun parc de 8.000 points de charge (versus 50 Ă date) sachant quâun investissement dans une station (qui contient 3 bornes) coĂ»te entre 400.000 euros et 500.000 euros.
Mais la concurrence est, comment dire⊠rude, trĂšs rude (le tout dans un contexte de construction dâune infrastructure, ce qui est trĂšs lourd financiĂšrement) :
« La capacité à séduire les investisseurs sera déterminante pour Electra car elle est en concurrence avec des grands groupes dans l'énergie (Total, Engie, RW Group), des acteurs de l'automobile (Tesla, Ionity) et des start-up bien financées (Fastned, Allego, Power Dot, InstaVolt, etc.). »
A court et moyen-terme, lâenjeu est donc dâassurer un maillage efficace du territoire (certains comme Electra visent les zones urbaines) tout en ayant lâopportunitĂ© dâaider les partenaires fonciers qui, dans le cadre la rĂšglementation (loi dâorientation des mobilitĂ©) doivent avoir 5% de leurs places de parking Ă©quipĂ©es de bornes de chargement Ă©lectrique.
« Les contrats signés avec les partenaires fonciers durent entre dix et quinze ans, ce qui représente des grosses barriÚres à l'entrée pour de potentiels autres acteurs. Electra a déjà convaincu AccorInvest, Indigo, Louvre Hotels Group et Primonial REIM France d'installer des points de charge sur leurs emplacements. »
âïž How Europe Became the Epicenter for This Summerâs Travel Chaos (Bloomberg, July, 1, 2022)
Par Siddharth Vikram Philip, Christopher Jasper, et William Wilkes
Câest (encore) un des paradoxes de la pĂ©riode actuelle : payer plus pour un billet dâavion⊠mais avoir moins de chance de monter Ă bord.
Londres, Paris, Berlin, etc. : câest dĂ©sormais lâĂ©picentre du chaos aĂ©rien, lĂ oĂč lâexigeante symphonie entre check-in, sĂ©curitĂ©, contrĂŽle des passeports et boarding laisse de plus en plus Ă dĂ©sirer.
Si le nombre de vol explose comparĂ© Ă 2019 (3x 2019 pour lâensemble Allemagne / UK / Italie / Espagne / France, les prix aussi : 3x le prix dâun Paris / New York par exemple.
Sentiment général :
« The breakdown highlights how a faster-than-expected recovery in air travel has clashed with a massive staffing shortage after deep cuts during the pandemic. Instead of a roaring comeback, the global aviation industry is stumbling, unable to rapidly fire up operations again from the worst travel slump on record and making what in the past might have been a routine trip more of an odyssey. »
On connaĂźt les pistes dâexplication : une reprise plus que rapide combinĂ©e Ă une pĂ©nurie de personnels auxquels sâajoutent⊠des grĂšves.
Pour faire face à ces images désolantes de passagers déboussolés, compagnies aériennes, aéroports et pouvoirs publics ne restent pas les bras croisés et outre les accélérations dans les recrutements (avec des délais incompréhensibles liés aux exigences de sécurité, le tout dans un contexte de great resignation), on voit apparaßtre des initiatives originales comme de faire déposer ses bagages avant son vol mais aussi de voir assurer les contrÎles de sécurité par la force publique (à certains aéroports en Allemagne par exemple).
Lâheure est grave et la dette des airlines cote dĂ©sormais Ă peine au dessus du niveau distressed.
Si on espĂšre le mieux, plusieurs analystes ne peuvent sâempĂȘcher quand mĂȘme de tancer les compagnies aĂ©riennes, qui se sont empressĂ©es pendant la pandĂ©mie de rĂ©duire les effectifs, dâoĂč, bien sur, une partie des problĂšmes auxquels ont est dĂ©sormais confrontĂ©s.
đŻđ” Shinzo Abe, killed at 67, leaves a storied legacy as Japan's longest-serving premier (NPR, July 8, 2022)
Par Anthony Kuhn
Toutes nos pensĂ©es Ă©mues pour lâancien PM japonais et sa famille. Lâassassinat de M. Abe vient encore une fois nous rappeler combien la politique est un mĂ©tier dâune difficultĂ© hors du commun.
Vendredi dernier, Ă la stupeur gĂ©nĂ©rale, lâancien chef du gouvernement japonais, Shinzo Abe, 67 ans, a Ă©tĂ© assassinĂ© lors dâun meeting politique. A noter que la violence par arme Ă feu est rarissime au Japon.
Shinzo Abe nâĂ©tait pas nâimporte quel premier ministre japonais : il a Ă©tĂ© celui qui a re-dynamisĂ© lâĂ©conomie nippone (les fameux Abenomics) et a remis le Japon sur le devant de la scĂšne mondiale.
Connu pour son charme et son Ă©lĂ©gance, Shinzo Abe Ă©tait issue dâune des plus puissantes familles politiques japonaises (grand-pĂšre PM, pĂšre ministre des affaires Ă©trangĂšres, etc) et a Ă©tĂ© le premier ministre le plus longtemps en exercice (2006-2007 puis 2012-2020).
Il a eu pour principal souci de restaurer la place du Japon dans le concert des nations, implĂ©mentant une politique plutĂŽt qualifiĂ©e de nationaliste / droitiĂšre. Il Ă©tait le leader du Parti LibĂ©ral DĂ©mocrate â plus grand parti politique japonais et principale force conservatrice au pays du Soleil-Levant.
He pledged to "take back Japan" to restore its pre-WWII position as Asia's preeminent power and its economic dynamism of the 1960s.
đ° Billionaires Canât Get Enough of Private Equity (Washington Post, July 8, 2022)
Par Shuli Ren
Un trĂšs bel article dâanalyse, comme on les aime !
Beaucoup, dans lâindustrie du private equity (PE pour les intimes = rachat dâentreprises avec en gĂ©nĂ©ral un recours Ă lâendettement en complĂ©ment des fonds propres apportĂ©s, ce qui boost le rendement des investissements), estiment que lâon est en train de dire au-revoir Ă un certain Ăąge dâor : en cause des sociĂ©tĂ©s plus dures Ă financer avec les hausse des taux, mais aussi des ventes plus dures Ă rĂ©aliser notamment en raison dâun marchĂ© des introductions en bourse en berne.
Comme si cela ne suffisait pas, les fonds craignent aussi que lâon ait atteint un certain plafond en matiĂšre dâallocation par les fonds de pension : ces derniers auraient atteint le maximum dâallocation qui peut ĂȘtre dĂ©diĂ© Ă cette classe dâactifs.
« Use the $477 billion California Public Employeesâ Retirement System as an illustration. In November, Calpers raised its target allocation to 13% from 8%. But once we account for the potential losses from its public holdings, the change doesnât appear so earth-shattering. A back-of-the-envelope calculation shows that Calpersâ existing PE portfolio holdings could have reached 9.5% without deploying a dollar more to alternative asset managers. »
Mais il nây a pas que les fonds de pension (qui gĂšrent lâĂ©pargne qui servira par exemple Ă financer la retraite des enseignants de telle ou telle rĂ©gion, ou des pompiers ou des policiers de telle ou telle ville, spĂ©cialement en AmĂ©rique), il y a les trĂšs grandes fortunes aussi. Ainsi ces derniers sont de plus en plus friands de PE (prononcer « Pi, Hi ») et contribuent des sommes colossales Ă de nombreux fonds :
« For instance, JPMorgan Chase & Co.âs customers contributed $1.9 billion to Chase Colemanâs Tiger Global Managementâs latest $12.7 billion venture capital fund. The bank tapped a similar client pool to amass $2.9 billion for a new venture fund for Philippe Laffontâs Coatue Management. »
La dynamique en faveur du PE devrait demeurer forte. Ainsi, dans une Ă©tude rĂ©cente dâUBS oĂč ces derniers ont compilĂ© des donnĂ©es sur les 221 plus gros FOs (pour Family Offices) qui gĂšrent en moyenne 1,2 milliards de dollars dâactifs, on note que 21% des actifs des milliardaires sont dĂ©diĂ©s directement ou indirectement au PE (i.e. soit via des fonds tiers soit en direct). Et cela devrait continuer encore et encore.