Chers tous,
Cette semaine dans D7, 4 contenus qui ont la modeste ambition de capturer un peu de l’esprit du temps.
Et alors quid de ce Zeitgeist hebdomadaire (vous vous souvenez peut-être des très émouvantes vidéos Google qui résumaient en quelques minutes les faits marquants d’une année) ?
La Russie d’abord, mais avec un angle économique par le grand Steven Rattner, ancien banquier de Lazard à New York (où il est une figure importante) passé par l’administration Obama et qui gère la fortune de Michael Bloomberg après avoir aussi monté son propre fonds de private equity (Quadrangle, très bon nom d’ailleurs).
Puis le Covid-19 et son lot de dépenses somptuaires associées par consommateurs les plus fortunés.
Puis le web3, les cryptos, les NFTs - toutes innovations issues de la blockchain et dont on peut craindre que leur valeur soit très fragile, et qu’elles soient inscrites dans un modèle ressemblant essentiellement au commerce pyramidal.
Et enfin l’un des meilleurs entrepreneurs contemporains, historiquement magnat du cable en particulier et maintenant des télécoms et des médias en général, Patrick Drahi.
Nous avions failli inclure un article sur la pénurie d’avocats, qui met en danger le guacamole et les hipsters ; ce sera pour une prochaine fois.
Bon dimanche, amitiés,
Grégory & Sacha
Jean Dubuffet, Mire G59
💸 Russia’s Economy Has a Few Surprises (Steven Rattner.com, 021622)
Par Steven Rattner
Les sanctions occidentales ne semblent pas avoir produit les effets escomptés sur la Russie, dont la résilience économique surprend.
L’économie russe reste certes de taille modeste (10% plus petite que l’économie canadienne). Sa croissance n’est pas très dynamique : 1,5% en moyenne sur la période 2017-2021, contre 2% pour les Etats-Unis. Elle demeure également marquée par une prédominance du secteur des ressources naturelles (feu John McCain aimait à dire que la Russie était “une station-service déguisée en pays”).
En revanche, le fardeau de la dette s’est notablement allégé ces dernières années. Quand la Russie a fait défaut dans les années 1990, le ratio dette/PIB dépassait les 100% ; il est aujourd’hui égal à 19%, soit une infime fraction du ratio américain (100%). Cela a été une obsession du président Poutine, et elle s’explique facilement.
Un faible ratio dette/PIB participe à créer un espace budgétaire. La Russie peut se financer assez facilement - d’autant que la banque de Russie a constitué de considérables réserves de devises étrangères, pour une valeur totale de 650 milliards de dollars, ce qui en fait la quatrième plus grande du monde.
Cet espace budgétaire génère donc un espace politique : la Russie peut encore largement s’endetter pour absorber une partie des effets des sanctions, financer ses opérations militaires, ou les deux.
🚁 Covid-19 : pendant la pandémie, les ventes de voitures de luxe, de yachts et de jets privés ont explosé (Le Monde, 021922)
Par Jean-Michel Normand et Guy Dutheil
En 2021, les ventes de jets privés, de yachts de grand luxe, de voitures d’exception ont explosé. Ce n’est pas très surprenant : les patrimoines financiers des plus riches ont beaucoup crû, dans un contexte de flambée de la bourse et du marché immobilier.
Ferrari a produit 11 500 voitures, soit 22% de plus que sa précédente année record. L’offre peine à répondre à la demande : Rolls Royce met désormais un an à livrer, et la pandémie semble avoir accéléré la tendance à l’extrême personnalisation des véhicules.
“Müller-Otvös, président de Rolls-Royce, se dit « impressionné par le nombre de clients qui nous ont confié qu’avec le Covid ils avaient compris qu’ils pouvaient mourir demain et que c’est maintenant qu’il faut profiter de la vie ».”
Cette tendance s’étend aux mers (200 super-yachts lancés en production en 2021), aux airs (record de ventes de jets privés), et à l’espace. Virgin Galactic a vendu 600 vols ; Space X facturera plusieurs dizaines de millions de dollars pour un séjour de quelques jours en orbite à bord de la capsule Crew Dragon ; les russes de Roscosmos bâtissent un hotel spatial et ont déjà envoyé un milliardaire japonais 12 jours dans l’espace.
« Certains ont vu que leurs amis ultra-riches qui possèdent des yachts ont passé un bon moment pendant la pandémie alors qu’ils ont dû s’enfermer chez eux », révèle Pepe Garcia, le patron du chantier naval espagnol MB92
Tout ça évoque un peu la science-fiction et le film Soleil Vert, où, dans un New-York post apocalyptique, quelques grandes fortunes résident au sommet de tours sécurisées tandis que les masses vivent dans l’insécurité d’une ville désolée, surpeuplée et ravagée par la pollution. Le sociologue Grégory Salle, auteur d’un ouvrage sur le sujet, parle de réclusion ostentatoire.
🤖 NFTs, Cryptocurrencies and Web3 Are Multilevel Marketing Schemes for a New Generation (Wall Street Journal, 021922)
Par Christopher Mims
La stratégie psychologique qui incite à investir dans les NFTS, les cryptos, et certains actifs du Web3 consiste tout simplement à instiller un sentiment de FOMO (fear of missing out).
Que dire de cette publicité pour la plateforme d’échange FTX, qui montre Tom Brady écrire successivement à tous ses contacts : “you in ??” ?
Tom Brady est sans doute la plus grande star moderne de la NFL, et s’il nous invite avec bienveillance à investir dans les cryptos, il convient sans doute de jump in - faute de quoi l’on pourrait le regretter pour toujours.
N’est-ce pas la même mécanique que celle qui préside aux succès (et aux échecs - sans doute plutôt aux échecs) des multilevel marketing companies (MMC) ? On avait parlé dans un D7 précédent du modèle frauduleux d’Herbalife, dénoncé par l’excellent Bill Ackman.
Le problème central est que le sous-jacent des actifs est censé être leur rareté (et même dans le cas des NFTs, leur caractère unique), mais qu’ils ne sont pas vraiment rares.
Rien ne ressemble plus à un NFT qu’un autre NFT (Cf. les fameux boring apes) ;
Surtout, on peut créer une infinité de NFT sur la base d’une même image.
La micro-économie la plus scolaire prédit donc une triste issue : si la demande est limitée et que l’offre est illimitée, la valeur des NFTs devrait tendre vers zéro.
Cette prédiction doit bien sûr être relativisée : les NFTs ne sont évidemment pas tous parfaitement substituables entre eux, et donc certains d’entre eux continueront à avoir de la valeur.
Mais elle est tout de même ancrée dans une tendance puissante : il est devenu de plus en plus facile de créer des actifs dans la blockchain, donc l’offre tend en effet à devenir illimitée (voir ce dessin d’enfant devenu une NFT).
“Indeed, if one were to distill the entire promise of Web3 to a single sentence, it would be this: By virtue of the ease of creating new tokens and building new businesses around them, Web3 has the potential to securitize any iota of data or code we ever produce. Another way to put that: Web3 represents a way to financialize every possible human interaction.”
Essentiellement n’importe quoi peut devenir un NFT, or l’on n’est pas prêt à payer pour n’importe quoi. Ainsi, la plupart des NFT ne se vendent pas.
Cela n’enlève rien à la valeur technologique de la blockchain et des nombreux use cases qui lui sont associés ; mais à long-terme, cela veut sans doute dire que les grands gagnants seront les bons entrepreneurs, pas les investisseurs amateurs. C’est de toutes manières souvent le cas.
📺 Concentration des médias : Patrick Drahi (Altice) devant la commission d'enquête du Sénat 5 (Public Sénat, 020822)
Depuis quelques semaines, le Sénat auditionne la plupart des grands dirigeants / actionnaires des principaux médias français. Ainsi Vincent Bolloré, Bernard Arnault ou encore Xavier Niel et Martin Bouygues, ont été longuement entendus par les sénateurs pour des séquences souvent très intéressantes, si ce n’est fascinantes. Ce n’est pas tous les jours que l’on voit raisonner pratiquement tous les plus grands entrepreneurs de notre époque devant des parlementaires.
L’audition de Patrick Drahi dont vous trouverez la diffusion ci-dessous a été particulièrement croustillante. Un peu comme plusieurs de ses compétiteurs, Patrick Drahi aussi mettait en comparaison son groupe à ses concurrents internationaux et spécialement américain où « Big is beautiful », le rôle citoyen de soutien des grands groupes de télécommunications au secteur de la presse écrite (« Libération » a été mis dans un fonds de dotation par exemple) ou encore la construction de groupes leaders sur des marchés très concurrentiels. L’angle « capitalisme familial » et familial tout court est particulièrement touchant.
Vive les industriels !
Merci à tous ;)