Chers tous,
Le premier confinement aura été l’opportunité pour moi de découvrir avec une bonne décennie de retard Game of Thrones (GoT) — sans nul doute mon expérience artistique la plus transformante depuis La recherche du temps perdu. Bref, dans GoT, doit-on apprendre à vivre avec le refrain “Winter is coming”. Au fil des épisodes et des saisons on sait que les protagonistes — dont beaucoup sont des ennemis d’hier et de demain — devront affronter quelque-chose d’implacable qui les dépassera tous. On s’y prépare plus ou moins, on pense à autre chose, on y croit, ou pas. Mais voilà. Vous connaissez la suite.
Quand on a quelques notions basic de psychologie cognitive, l’expérience du nouveau coronavirus est un cocktail d’à peu près tout : il y a le déni bien-sûr, il y a la dissonance cognitive, il y a la tentation du marshmalow, etc.
Beaucoup parmi les plus de 500 abonnés à Dimanche Seven connaissent le fond de ma pensée. Nul besoin de m’étendre, au risque d’être taxé de rabat-joie contrariant (ce qui ne me dérange pas).
Aussi je me permets de citer le formidable JDD de ce matin : « Ce qui affaiblit notre pays est moins l’incurie de ses dirigeants que la défiance de ses citoyens envers les règles et ceux qui les édictent. » On en revient aux fameux « Gaulois réfractaires ». Était-ce vraiment si à côté de la plaque comme affirmation présidentielle ?
En revanche ce qui est intéressant est que dans cette triste et déroutante époque, c’est qu’il y a des tendances lourdes comme on peut les percevoir depuis la création de cette newsletter au printemps dernier. Cette semaine donc deux articles sur des femmes-leader car, comme dans la bible, le monde a besoin de plus de femmes fortes telles que Ruth Bader Ginsburg, Angela Merkel et Ursula von der Leyen (il y a un pattern de noms allemands semble-t-il).
Prenez soin de vous, et comme dirait notre ministre de la Santé, le courageux et désormais grave Olivier Veran :
« On ne peut pas imposer aux gens de prendre soin d’eux malgré eux, mais on peut imposer aux gens de prendre soin des autres malgré eux ».
Bon fin de dimanche, prenez soin de vous, amicalement,
Grégory
© Sotheby’s — Sandro Botticelli, Portrait de jeune homme tenant un médaillon, 15ème siècle
🦅 The Election That Could Break America (The Altantic, November 2020 issue)
Par Barton Gellman
🗒️ Cet excellent article — assez partisan il faut l’admettre — revient en détail sur ce que de plus en plus craignent aux Etats-Unis et dans le monde : le chaos qui pourrait régner dans les prochains mois. Les dés sont jetés.
Alors que la date fatidique du 3 novembre — le jour du vote pour le Président des Etats-Unis — approche, beaucoup d’analystes très expérimentés comparent la situation aux mois précédents le 11 septembre. On sait que quelque-chose va se passer, mais on ne sait pas exactement quoi. Tous les voyants du paysage américain sont au rouge : le clivage politique ultra-tendu, la pandémie globale, une récession historique, les doutes sur le vote par correspondance, le climat de violence générale, etc. Mais de quoi a-t-on peur ?
On peut tout d’abord craindre une incertitude juridique quant au vainqueur, avec recompte des voix dans certains bureaux, un peu comme lors de l’élection de George W. Bush contre le Vice-Président Al Gore il y a 20 ans. Mais Gore avait finit par admettre sa défaite, mettant fin aux procédures de contestation devant la justice.
Ici le risque est largement accru par le fait que Donald Trump a d’ors et déjà voué aux gémonies le vote par correspondance, qui pourrait être très important cette année en raison de la pandémie. Etant convaincu que moins il y a de votes plus il a de chance de gagner, le Président fait tout pour discréditer le fameux vote-by-mail ballots. Ainsi a-t-il été à ce titre taxé de vouloir affaiblir la poste américaine pour mieux complexifier le vote.
Ce risque de vote par correspondance est encore accru par le blue shift, un phénomène complexe que l’on ne comprend pas bien et qui veut qu’en cas de recompte des votes, les Démocrates soient favorisés.
Il y a en outre le risque sur la fameuse période d’Interregnum — les 79 jours qui séparent les élections de l’entrée en fonction du nouveau (ou actuel) Président. En principe si le Président en exercice perd, il acte de sa défaite, avec un pouvoir très encadré jusqu’à la passation. Seulement Donald Trump a d’ors et déjà affirmé qu’en cas de défaite il n’accepterait pas les résultats. S’ouvrirait alors une période sans précédent.
Il y a enfin le problème de la violence. D’autant plu que l’on connaît le goût du Président pour les démonstrations de force de l’Etat fédéral, comme avec le déploiement de forces de sécurité surarmées lors des manifestations ayant eu lieu dans la foulée du mouvement BLM, le tout dans un contexte géopolitique tendu. Démonstrations de force, de civils comme des forces de sécurité, qui pourraient d’ailleurs complexifier les opérations de vote.
✏️ Pour les marchés comme pour le monde, le pire donc serait une incertitude quand à la marche du pays. On croise les doigts.
👩⚖️ Ruth Bader Ginsburg’s Advice for Living (New York Times, Oct. 1, 2016)
Par Ruth Bader Ginsburg
🗒️ Dans cette tribune de 2016 mise en avant cette semaine par Melinda Gates, R.B.G. revient sur sa vie et donne quelques conseils de vie.
Etat des lieux : dans les années 1950, quand R.B.G. étudie le droit, les femmes représentent moins de 3% des professionnels de la loi aux U.S. et une seule femme avait été juge dans une Cour d’Appel. Aujourd’hui 50% des étudiants en droit sont des femmes, ainsi qu’un tiers des juges fédéraux.
Mais qu’est-ce qui a donné le courage et l’envie à Ruth Bader Ginsburg de défendre comme avocate l’égalité des droits entre les hommes et les femmes à une époque où le féminisme était marginal (regardez Mad Men pour avoir un petit aperçu de l’état des lieux dans les 50s) ?
Une mère d’abord qui lui a donné le courage d’être in-dé-pen-dante et libre.
Des professeurs qui l’ont soutenue et encouragée dans son combat, notamment Nabokov à Cornell.
Savoir parfois être silencieuse (conseil de sa belle-mère) en ne réagissant pas à chaud aux invectives et agressions —> “to be a little deaf”.
Le work-life balance (conseil de son beau-père : famille merveilleuse). Ruth fait référence à son dilemme de continuer à étudier alors qu’elle va être maman et que son mari est à l’armée. Et elle réussira, au prix d’une organisation volontaire, à être à la fois une brillante étudiante — major de sa promotion — et une mère aimante. Et elle dit la magnifique chose suivante : “Each part of my life provided respite from the other and gave me a sense of proportion that classmates trained only on law studies lacked”.
Un conjoint aimant qui l’a soutenue dans sa carrière et notamment pour être admise à la Cour Suprême.
La collégialité, notamment à la Cour, qui a pour fonction de réparer les fractures de la Nation.
Savoir que le chemin pour les droits des femmes est encore long, avec une inégalité encore importante, par exemple dans le monde du travail.
🇪🇺 The rise of Mrs Europe (The Critic, Oct. 20)
Par Ben Judah
🗒️ 5 choses à retenir de cet article très fouillé sur la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Comme dans toutes les bonnes biographies il faut souvent revenir aux basics.
Ursula von der Leyen est d’abord une “fille de”. Fille d’Ernst Albrecht, homme politique important des Trente Glorieuses en Allemagne, d’abord très haut-fonctionnaire européen avant de devenir Ministre-Président de Basse-Saxe. Le père de la Présidente von der Leyen est donc (1) un ancien haut-dignitaire de la technocratie européenne et de la politique allemande mais aussi (2) un conservateur (CDU) et (3) le descendant d’une très importante famille de marchands de la région de Hanovre. Elle est la fille (on en parlera plus bas) de Heidi Adele, qui restera dans l’ombre d’Ernst.
Ursula von der Leyden est… une femme. Devenue la seule membre féminine de sa fratrie, elle n’a pas vocation pour son père à occuper le devant de la scène. Et bien qu’ayant fait d’excellentes études (LSE, médecine, Stanford) elle doit dans un premier temps renoncer à sa carrière alors qu’elle suit son époux qui enseigne en Amérique (sa mère, sur-diplômée n’aura jamais de carrière à elle : l’histoire aurait pu se répéter).
Ursula von der Leyen est… profondément européenne. Ainsi a-t-elle vécu à BXL quand son père y travaillait, mais aussi à Londres, où elle a été envoyée anonymement pour échapper aux menaces des groupuscules d’extrême-gauche alors très violents en Allemagne. Bilingue en anglais, cette cavalière émérite parle également français. Londres, alors en pleine époque punk, l’a profondément marquée par sa liberté, son cosmopolitisme et sa vie rythmée et riche qui tranchait avec le provincialisme de sa vie en Basse-Saxe.
Après avoir renoncé à sa carrière, cette mère de sept enfants devient une ministre importante d’Angela Merkel, jouant le rôle de joker progressiste de la chancelière, allant jusqu’à devenir une Ministre de la Défense assez décriée.
Devenue Présidente de la Commission européenne, elle se révèle une pièce maîtresse en ces temps de pandémie mondiale. Dirigeant avec tact, écoute, et bienveillance et expertise, et avec le double soutien du Président français et de la Chancelière allemande, elle est également la mère du plan de relance européen et de son financement à venir par la dette mutualisée — ce que son pays d’origine avait toujours refusé.
🏢 Is the office finished? (The Economist, Sept. 12, 2020)
🗒️ Pourquoi les bureaux ne sont plus ce qu’ils étaient.
Historiquement bureau rimait avec travail et prévisibilité. C’est une des bases des économies modernes. Si 84% des Français sont retournés au bureau ils sont seulement 40% au Royaume-Uni. Avec à la clé le clivage qui va devenir classique : on est mieux à la maison (pas de transport, de repas sur le pouce, etc.) versus sans bureau pas de sécurité. Résultat : on ne sait pas trop. Et cela va peser beaucoup dans la balance des 30 trillions de dollars du marché global de l’immobilier commercial.
De cette vie de bureau découle tout un ensemble de patterns : où va-t-on déjeuner le midi, comment on se rend au bureau, etc.
Le bureau a été à l’économie de service ce que l’usine avait été à l’économie industrielle. Mais si on a beaucoup bouleversé les usines, les bureaux sont restés assez inertes, et ce malgré le PDF, Zoom, Slack & Co. Ainsi le flex-office représente seulement… 5% du marché.
Mais le virus est un game changer. Tout le monde s’est mis au télétravail, même Xerox (la société des imprimantes) ou certains tribunaux et bien-sûr la plupart des grandes entreprises de technologie. Le plus frappant : Microsoft, Zoom, Google et Cisco ont ensemble pas moins de 300 millions d’utilisateurs !
La vraie question est : quid de la suite, après le vaccin (que l’on espère tous) ? La réponse est a priori que le bureau sera un hub plutôt qu’une deuxième maison. On s’y rendra régulièrement, mais pas tous les jours, etc. L’exact équilibre dépendra des lieux et des industries mais ce qui semble certain est que le télétravail sera rentré dans les mœurs, nécessitant un re-calibrage du besoin de bureau (avec un stock qui pourrait baisser de 10% dans certaines villes) et de l’organisation des centres-villes.
🎨 Arte, all’asta da Sotheby’s un Botticelli record da 80 milioni di dollari (Corriere della Sera, Sept 25, 2020)
Par Paolo Manazza
C’est une beauté que Sotheby’s va mettre en vente à NY au début de l’année prochaine, le Portrait de jeune homme tenant un médaillon de Botticelli. Le chef d’œuvre pourrait atteindre 80 millions de dollars au marteau du commissaire-priseur.
Surtout ce tableau est une double rareté : à la fois un des seulement 12 portraits peints par Botticelli mais aussi une des rares œuvres du peintre encore entre des private hands comme on dit élégamment.
Merci pour votre temps précieux ;)
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