Chers tous,
Cette semaine une intro très courte car le contenu est plus long.
Tenez bon. Je vais juste citer la phrase de Churchill évoquée plus bas par Bill & Melinda Gates :
“This is not the end.”
“It is not even the beginning of the end. But it is, perhaps, the end of the beginning.”
Bon dimanche, amitiés,
Grégory
(c) Vincent, Paul, et les autres - Claude Sautet - 1974
🎮The GameStop stock craze is about a populist uprising against Wall Street. But it’s more complicated than that (Washington Post, 020221)
Par David J. Lynch
🧝♂️ Une société shortée puis cornerisée, et beaucoup de questions.
Vous vous souvenez de GameStop : un cours qui explose poussé par les boursicoteurs de Robinhood — aidés par de gros poissons — et mettant dans une position terrible plusieurs hedge funds chevronnés qui avaient shorté la position de ce retailer (physique) de jeux vidéos (sic) : en bon anglais il ont été squeezed (Melvin Capital, secouru par Citadel et par Point72 à hauteur de 2,75 milliards de dollars, a perdu 53% de ses 13 milliards de dollars de capital sous gestion en janvier… ! 😱).
Le cours a littéralement explosé, avant de rebaisser : corneriser le marché termine toujours mal, néanmoins l’action gagne encore 1.573% sur 1 an, 1.432% sur 6 mois, 252% sur 1 mois et a perdu… 77% en 5 jours (à vendredi soir).
Mais le sujet GameStop va au-delà d’une bataille boursière entre les bulls (haussiers) et les bears (baissiers) :
Dans une Amérique post-Trump encore polarisée , c’est une fable de la révolte des faibles contre les forts —> un air de populisme ?
L’effet de surprise de la hausse des cours poussés sur la plateforme Reddit, assez geek quand même, a montré combien le régulateur ne maitrisait pas encore bien les tenants et aboutissants des réseaux sociaux couplés à une considérable démocratisation de l’investissement en bourse, spécialement par le biais de l’app Robinhood, qui permet de faire des trades (y-compris assez sophistiqués) * sans * frais.
La public trust dans les marchés a été affaiblie car alors que les cours montaient très forts, les brokers en ligne n’ont plus permis à leurs clients de continuer à acheter — la communication a été laborieuse mais cela était notamment lié à des obligations règlementaires suite à l’augmentation du volume d’achats (Robinhood a levé 3,4 milliards de dollars en urgence en seulement quelques jours pour y faire face).
GameStop c’est la fable de la crise du commerce du retail physique, avec le passage des jeux vidéos du physique au digital. Quand il aurait pu, GameStop n’a par exemple pas racheté Twitch, et la société était chahutée depuis longtemps, avec une gouvernance et une stratégie erratiques.
C’est bien-sûr une forme de follow-up du mouvement Occupy Wall Street, et plus largement la suite du débat sur les répartition des richesses entre les très riches et les autres, débat reconnu par bien des gérants alternatifs majeurs eux-mêmes. Ainsi on a pu avoir le sentiment que la uber-élite prenait mal le fait que des traders en shorts viennent challenger leur domination.
C’est également un clash générationnel : les générations Y et Z contre les baby boomers.
Au-delà du débat sur le short et la hausse jugée trop forte du titre, se pose en effet tout de même la question de la valeur fondamentale de la société en question, et ce au-delà de toute stratégie spéculative, etc.
🚀Elon Musk Becomes Unlikely Anti-Establishment Hero in GameStop Saga (New York Times, 012921)
Par David Gelles
🧝♂️ Altérité 101
Il n’y a pas si longtemps, Elon Musk s’ouvrait sur sa vision des marchés financiers : “le marché c’est un peu comme avoir un maniaco-dépressif qui te dit constamment combien [tu vaux].”
“The stock market is a strange thing,” Mr. Musk said in an interview with Business Insider in December. “It’s like having a manic depressive who’s constantly telling you how much your company’s worth. And sometimes they have a good day, and sometimes they have a bad day, but the company is basically the same. The public markets are crazy.”
Mais quelques jours plus tard, bien-sûr, le très dostoïevskien Elon Musk plongeait dans la “bataille” GameStop : l’opportunité de briller était une évidence. GameStop, nous en parlions dans le papier précédent, c’est cette bataille à plusieurs milliards de dollars trop belle pour être vraie (au sens des scénaristes de séries télé) entre les l’élite des hedge funds à-la-Billions contre les retail investors (un peu les veuves de Carpentras version Reddit ou Twitter qui ressemblent plus à des millennials en sweets à capuche qu’au bon père de famille en mode Desperate Housewives qui épargne pour financer les études de ses enfants).
Pour Musk, l’entrée en scène s’imposait donc. Pour reprendre une expression anglo-saxonne, Musk est larger-than-reality (en même temps qu’est-ce qui ne l’est pas aujourd’hui ?). Patron de deux géants technologiques, homme ou co-homme le plus riche du monde (principalement avec Jeff Bezos), c’est un héros capitaliste, une célébrité, et une figure de Twitter avec 44 millions de followers et un esprit très troll. En tant que puissance incontournable d’Internet, dont il maitrise parfaitement les codes, Elon (Musk) est ainsi devenu une des mascottes des anti-establishment.
"[...] he seems to have the internet coursing through his veins — he is fluent in meme culture, attuned to the neuroses of the web’s hive-mind, quick to reply to almost anyone and happy to throw digital haymakers at his detractors."
Un peu comme Steve Jobs, Musk est donc le parfait insider-outsider, passionné par son produit, et plutôt contrariant, et qui en même temps rencontre un succès considérable : du coup, pourquoi changer une formule qui gagne ?
“He revels in shocking people and saying things that are outrageous,” said David B. Yoffie, a Harvard Business School professor. “And at least as of today, he has demonstrated that these outrageous actions can pay off, so he clearly feels emboldened.”
L’esprit contrariant de Musk, aidé par sa horde de fans, répond dans le cas de l’affaire GameStop à une problématique plus large. Outre le fait qu’il s’agisse du clash entre générations et entre classes, en gros les millennials de Main Street contre les magnats de Wall Street et que l’on se batte pour une entreprise aimée des geeks (suivez mon regard), il s’agit d’une affaire de short. Or on sait combien Elon Musk et Tesla ont souffert pendant longtemps des ventes à découvert, et ce avant de devenir une market darling de plus de 800 milliards de dollars de market cap et d’intégrer l’indice S&P 500. C.Q.F.D.
🗣️ Clubhouse Gets Investment Interest at $1 Billion Valuation (The Information, 012221)
Par Zoë Bernard, Kate Clark, Alex Heath
🚀 Super-scale in the making
Vous aussi vous avez rejoint Clubhouse, la plateforme, encore sur invitation mais qui devient de plus en plus mainstream, et qui permet de participer / écouter dans des rooms de discussions. Comment dire ? Ce serait un mélange entre une émission de radio-talk et un podcast et un webinar, avec un / des modérateurs, etc. Il y a de tout, et notamment de la tech. C’est très vivant et intéressant. Et surtout c’est full AUDIO donc ça repose nos yeux des téléconférences (vu que visio = le nouveau call = le nouveau meeting physique).
Et puis bien-sûr, ce que l’on aime genre beaucoup sur Clubhouse, c’est que l’air de rien on peut se retrouver sur une room avec Elon Musk, Mark Zuckerberg, ou Drake, Oprah, etc.
La semaine dernière, Clubhouse et ses 2 millions d’utilisateurs, a levé 100 millions de dollars, pour une valorisation autour de 1 milliard de dollars. Le tour était mené par le légendaire fonds Andreessen Horowitz et valorise la société 10 fois plus qu’il y a un an, à ses débuts. A noter que la valo de l’année dernière était ainsi de 100 millions avec 5.000 utilisateurs — voir ce très bon Medium par Curtis Black pour mieux comprendre.
"Enter Clubhouse. What Clubhouse does is reduce the friction to content creation I outlined above. Most importantly, Clubhouse offers a different user experience and type of content that can’t be accessed on any other audio platform. This is the beauty of in-app user generated content: While some platforms raised nearly $100m to offer consumers unique audio content, Clubhouse is able to do this for free. By doing so, Clubhouse has began to aggregate demand and once network effects take hold, it will be challenging for other players to keep up."
Construite autour d’un esprit de club privé — les premiers utilisateurs étaient en effet des barons de la tech (entrepreneurs, investisseurs, et cetera), des industriels du cinémas, politiciens, universitaires… — Clubhouse est désormais dans sa phase scale (c’est pour cela que le cercle s’élargit petit à petit par cercles concentriques et que l’on a de plus en plus d’invitations). Paul Davison et Rohan Seth, les fondateurs, ont ainsi indiqué que l’idée était à terme d’ouvrir la plateforme à tout le monde.
Les sujets à venir (bien-sûr) : la monétisation (rien à ce stade, mais on est encore plutôt dans la phase de blitz scale growth), la modération, et la confidentialité.
⚕️The year global health went local (012721, Gates Notes)
Bill and Melinda Gates
🙏 Quelques petites choses à retenir de la lettre annuelle du cofondateur de Microsoft et de son épouse : les plus grands philanthropes du monde, clairvoyants, généraux, et efficaces, et humanistes.
Postulat : la santé est la base (bedrock) de toute Société. Sans santé impossible de gérer le présent et de se projeter dans l’avenir. Point à la ligne.
L’année 2020 a vu la santé entrer soudainement dans la vie de chacun. Comment ne pas se contaminer ou ne pas contaminer les autres ? Apprendre à vivre avec de nouvelles contraintes : le confinement (nouveau mot), le couvre-feu (idem), la distanciation sociale (idem), la pénurie (idem), les files d’attente (idem), les jauges (idem), etc. Découvrir et suivre de nouvelles métriques : le RO, l’aplanissement de la courbe de contaminations, etc.
Certains, comme mon ami le communicant Philippe Moreau-Chevrolet, sont mêmes devenus en un an des experts écoutés de ce sujet à la fois politique et sanitaire, mais aussi sociétal, économique, géopolitique, etc. (on voit le débat de la vaccination désormais se porter sur la gestion par l’Europe par exemple) —> Quand on regarde ce que nous étions il y a un an comme personne versus ce que nous sommes aujourd’hui il y a quand même des différences considérables (et plutôt dans le bon sens). Je pourrai aussi citer le si inspirant et clairvoyant Marc (Fiorentino), qui dans sa lettre de vendredi matin (on est accros) nous rappelait comme les entreprises avaient été surprenamment résilientes et avaient réalisé en une année les progrès que l’on fait en général en plusieurs.
Dans la lettre annuelle précédente, les Gates, comme le monde, découvraient tout juste ce nouveau virus, même si la Fondation avait depuis des années mis en avant le risque considérable que faisait peser une pandémie globale qui semblait plutôt inévitable. On connait la suite : les victimes, le télétravail, l’économie qui flanche, le demi-milliard d’élèves déscolarisés, et tous ces effets négatifs qui s’en suivront encore et encore, parfois de façon irréparable.
Néanmoins, les choses vont désormais aller de mieux en mieux, avec cet extraordinaire course à l’innovation qui nous a permis de trouver des vaccins dans un temps historiquement bas :
"History will probably remember these last couple of months as the most painful point of the entire pandemic. But hope is on the horizon. Although we have a long recovery in front of us, the world has achieved some significant victories against the virus in the form of new tests, treatments, and vaccines. We believe these new tools will soon begin bending the curve in a big way."
Nous sommes au moment Churchill (qui est beaucoup trop évoqué en ce moment à tort et à raison, et souvent à tort, mais ici plutôt pertinent) :
"The moment we now find ourselves in calls to mind a quote from Winston Churchill. In the fall of 1942, he gave a famous speech marking a military victory that he believed would be a turning point in the war against Nazi Germany. “This is not the end,” he warned. “It is not even the beginning of the end. But it is, perhaps, the end of the beginning.”
Cette pandémie, contre laquelle la Fondation a investi 1,75 milliards de dollars, a rappelé l’interconnection globale du monde : tous les pays étaient concernés, et tous les habitants de ces pays, sans aucune distinction d’aucune sorte. C’est une profonde expérience humaine.
"This past year, though, that changed. In 2020, global health went local. The artificial distinctions between rich countries and poor countries collapsed in the face of a virus that had no regard for borders or geography."
Et pour conclure, de même que la deuxième guerre mondiale avait défini la génération des parents des baby boomers, le coronavirus définira la notre :
"Just as World War II was the defining event for our parents’ generation, the coronavirus pandemic we are living through right now will define ours."
🌍 A chaque crise, l'Europe décroche (Les Echos, 012921)
Par Éric Le Boucher
Les faits sont têtus : à chaque crise l’Europe tombe plus que les autres, et se relève aussi moins que les autres —> 7,2% de baisse du PIB de la zone euro en 2020 versus une croissance de 2,3% en Chine, et une baisse plus modérée de 3,4% aux Etats-Unis et 5,1% au Japon. Surtout la reprise sera aussi plus faible chez nous : 4,2% en Europe versus 8,1% en Chine et 5,1% aux US —> je sais, il ne faut pas regarder que ça, mais c’est à savoir quand même.
On peut aussi parler vaccins, dont le méga-plan a été supervisé par la Commission : 2% des Européens sont vaccinés (au 29 janvier dernier, date de ce papier), contre 10% aux UK et 7% aux US —> là aussi, je sais, il ne faut pas regarder que ça, mais c’est à savoir quand même.
Les raisons de ces contreperformances versus le reste du monde sont assez connues : la lenteur de la machine technocratique européenne, mais aussi le manque d’ampleur de ses réactions (y compris le compliqué et lent plan de relance de 750 milliards).
Les causes du déclassement sont triples : l’âge (l’Europe est vieille : 43 d’âge médian contre 30 dans le monde), l’organisation, et l’audace.
S’il est difficile d’agir sur les deux premières causes, c’est sur l’audace que le levier est le plus grand à travers innovation et productivité, notamment via un aiguillage de l’énorme épargne de l’Europe vieillissante vers le financement des nouvelles technologies. On y croit ;)
"L'Europe est un modèle moral et éthique, elle ne défendra ces vertus qu'avec un immense effort de réorganisation technologique, financière et industrielle. Cette issue-là n'est pas simple, c'est la seule qui nous reste."
🍃 Exxon to create 'low carbon' business unit (MarketWatch, 020121)
Par Christopher M. Matthews
Du nouveau sous le soleil du géant américain : le géant Exxon Mobil a annoncé cette semaine qu’il déploierait 3 milliards de dollars d’ici 2025 (3 à 4% de ses investissements prévus sur la période) dédiés à des technologies réduisant les émissions de carbone.
"With our demonstrated leadership in carbon capture and emissions reduction technologies, Exxon Mobil is committed to meeting the demand for affordable energy while reducing emissions," Exxon Chief Executive Darren Woods said.
Pour la première fois de son histoire, c’est le quatrième trimestre de perte pour la major :
En pleine transition énergétique, les géants historiques du pétrole divergent dans leur stratégie pour épouser les nouvelles formes de production et de consommation d’énergie : BP et Shell investissent massivement en renouvelable par exemple, quand Exxon se focalise sur les énergies non-renouvelables.
Ainsi, le Groupe pense qu’il vaut mieux focus sur la tech de capture du carbone des énergies fossiles : les seules selon lui à même de répondre aux énormes défis énergétiques.
"Some in the industry see carbon capture as a way to lower the carbon footprint of fossil fuels, potentially allowing producers to continue pumping oil and gas as some countries tighten regulations on carbon emissions."
📽️ Claude Sautet, les choses de la vie d’avant (Le Figaro, 010521)
Par Nicolas Ungemuth
Après François Truffaut, c’est au tour de Claude Sautet de rejoindre Netflix. Ce bel article revient sur ce beau cinéma, et bien-sûr il ne peut pas ne pas mettre en exergue que ces films justement nous rappellent un temps à la fois révolu et en suspens :
"C’était une autre France: la France d’avant le principe de précaution, qui fait rêver, à une époque où l’on ne peut même plus se serrer la main ni se prendre un sandwich au comptoir. Revoir tout cela aujourd’hui, c’est bien cela: rêver. Rêver à ce que l’on n’a plus depuis un an, voire bien plus."
Mais le plus intéressant dans cet article c’est l’espèce d’analyse comparative qui dit ce qui différencie Sautet des autres réalisateurs des trente glorieuses que l’on aime tant, précisément car ils symbolisent à la fois une France qui n’est plus tout en abordant des thèmes universels sur lesquels l’on a pas fini de s’interroger : le vieillissement, les rapports entre les hommes et les femmes, l’amitié, and so on.
Et Claude Sautet de se distinguer de la cohorte des François Truffaut, Joël Séria, Pascal Thomas, Éric Rohmer, Claude Chabrol, ou Jean-Pierre Melville par la tendresse qu’il a pour ses acteurs / personnages : de Michel Piccoli et Romy Schneider dans Les choses de la vie à Montand et Romy (encore) dans César et Rosalie en passant par Michel Serrault et Emmanuelle Béart dans Nelly et Mr. Arnaud, le film ultime.
Enfin dans Sautet à noter que les hommes sont faibles mais les femmes sont fortes.
"Les féministes les plus intransigeantes ne pourront jamais accuser son cinéma de misogynie: dans ses films, les hommes sont faibles ; ce sont les femmes qui sont fortes. C’est ainsi que Sautet est parvenu à bâtir une somme de films sans équivalent."
Merci à tous ;)
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