Dear all,
Cette semaine un numéro spécial sur les États-Unis. C’est donc une parenthèse trumpienne qui se ferme. Aussi, ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique est assez important pour faire un deep dive sur ce que dit cette victoire du président-élu Joe Biden et de la vice-présidente élue Kamala Harris, que l’on félicite chaleureusement. Car cette nouvelle Maison Blanche qui se profile c’est un peu aussi la victoire de l’esprit Instagram sur l’esprit Twitter : plus dans le progressisme et la positivité que dans l’invective et la contradiction. Pour mieux comprendre il suffisait hier de voir les scènes de liesse (sur les live Instagram justement) dans la capitale hispter du monde : Brooklyn. Une série Netflix n’aurait pas fait mieux, de la musique de Gloria Gaynor agrémentée de tambours aux danses (masquées pour la plupart) dans ces rues aux briques rouges que l’on connaît comme si on y vivait.
Mais le plus dur reste à faire pour le nouveau ticket présidentiel.
Ci-dessous le tweet de Laurence Haim qui montre ce que faisait le Président Trump lorsque AP sonné le tocsin de la victoire de son rival démocrate.
Néanmoins, comme on le voit déjà trop dans une partie de la presse, spécialement ici en France, gardons-nous de tout triomphalisme car ces élections auront été bien plus serrées qu’on ne le dit, avec un Donald Trump aux 70 millions de voix, loin du raz-de-marée démocrate anticipé par la majorité des observateurs et commentateurs. De même ne peut-on pas jeter avec l’eau du bain tout ce que le trumpisme a su capturer et représenter politiquement, au-delà du style incandescent et si peu diplomatique du magnat.
Surtout, loin d’une vision un peu naïve des choses (avec une dichotomie entre ce qui serait un méchant Trump à ma droite et un gentil Biden à ma gauche), Joe Biden sera probablement plus proche d’une sorte de “populisme modéré” comme dit le très respecté Hubert Védrine dans le JDD de ce jour : qui a dit que la page Trump serait tournée aussi mécaniquement ?
Excellente après-midi, amicalement, stay safe,
Grégory
© Jasper Johns, Flag — MoMA
🇺🇲 Joe Biden vows to 'unify' country in victory speech (BBC, Nov. 7, 2020)
✏️ 2 choses à retenir de ce victory speech :
Comme attendu, dans son discours (de victoire) de cette nuit notre heure, le Président-élu Joe Biden a rappelé ce qui est désormais sa mission : il est temps de guérir l'Amérique. Et pour panser ses plaies, rien de tel qu’un discours d’ouverture (sans aucune surprise) très clair :
"I pledge to be a president who seeks not to divide, but to unify; who doesn't see red states and blue states, only sees the United States."
"It's time to put away the harsh rhetoric, lower the temperature, see each other again, listen to each other again"
De son côté, Kamala Harris a mis en avant le caractère historique de son entrée à la Maison Blanche, en insistant en même temps sur l’objectif de ce nouveau leadership : rétablir la décence au centre de la démocratie américaine.
"While I may be the first woman in this office, I will not be the last.”
✍🏼 Voilà, Jeff Bezos ne dit pas autre chose. Ci-dessous son Instagram.
🗳️ Joe Biden elected (CNN, 7 Nov., 2020)
Par Van Jones (importante personnalité américaine : avocat, écrivain à succès, commentateur politique, ancien conseiller du Président Obama à la Maison Blanche)
✏️ 2 choses à retenir de cette intervention de Van Jones — qu’il faut voir, car parfois “A picture is worth a thousand words” (sauf que là c’est une petite vidéo !).
Pour Van Jones, les larmes aux yeux (une émotion qui donne la chair de poule et va droit dans nos cœurs), il est désormais plus facile d’être un père post ère-Trump. Ainsi on retombe sur nos pattes et les valeurs sur lesquelles sont bâties nos sociétés retrouvent tout leur sens : l’élection de Joe Biden veut dire que, de nouveau, “it matters to be a good person”, de dire la vérité, etc.
Pour Jones, l’Âge de Trump avait délié les langues (et actes) du racisme contre les minorités ethniques et religieuses. Et même si la victoire de Biden est aussi une réponse à l’appel “I can’t breathe” suite à la mort de George Floyd en mai dernier (paix à son âme), c’était au sens large, et figuré, une bonne partie de l’Amérique qui ne pouvait plus respirer dans l’Amérique de Trump et de ses tweets.
🤷🏼 Trump just joined history’s club of one-term presidents, rejected by the Americans they led (The Washington Post, Nov. 7, 2020)
Par Gillian Brockell
✏️ Si vous ne devez retenir que 3 choses
S’il y a bien un club qui est restreint c’est celui des Présidents américains qui n’ont pas fait de deuxième terme. Ainsi, depuis 1945, cela n’était arrivé qu’à deux présidents : Jimmy Carter et Georges Bush père.
Ancien président depuis 40 ans (record historique), Jimmy Carter (77-81) avait vu sa présidence plombée par la crise économique (cf. les chocs pétroliers) et celle des otages en République islamique d’Iran.
Président de 89 à 93, Georges Bush père succédait au titan Ronald Reagan et avait connu une présidence riche en événements, de la chute du mur de Berlin à la Guerre du Golfe, à l’issue de laquelle il avait 89% d’opinions favorables. Aussi, la récession du début des années 90 a eu raison de sa réélection.
🐉 Win or Lose, Trump Will Remain a Powerful and Disruptive Force (The New York Times, Nov. 4, 2020)
Par Peter Baker et Maggie Haberman
✏️ Si vous ne devez retenir que 3 choses
Déjà un constat. Trump a réuni près de la moitié des votes populaires. Ses 70 millions de votes (5 de plus que lors de sa victoire d’il y a 4 ans) lui donnent la légitimité pour demeurer un homme d’influence, à la fois à la Maison Blanche d’ici à la fin de son mandat (en janvier ), mais aussi et surtout après.
“Mr. Trump is likely to prove more resilient than expected and almost surely will remain a powerful and disruptive force in American life.”
Pour continuer à exercer une influence politique majeure (et éventuellement se représenter dans 4 ans), le Président (en exercice) aurait pensé à lancer son propre network de télévision et bénéficiera de sa puissante base de 88,8 millions (ce matin) de followers sur Twitter.
“It isn’t like his Twitter account or his ability to control a news cycle will stop,” said Brad Parscale, the president’s first campaign manager in this election cycle. “President Trump also has the largest amount of data ever collected by a politician. This will impact races and policies for years to come.”
Cette puissance en matière d’influence télévisuelle ou twitterienne ou encore en matière de datas (le pétrole de notre siècle comme dit The Economist) pourrait faire sans doute du Président Trump le leader de facto du Parti républicain, agissant comme le parrain de ce parti en attendant l’émergence d’une nouvelle génération de chefs. Ainsi comme le dit Sam Nunberg, ancien stratège en chef de la campagne 2016 de l’ancien magnat de l’immobilier :
“President Trump will remain a hero within the Republican electorate. The winner of the 2024 Republican presidential primary will either be President Trump or the candidate who most closely resembles him.”
🏛️ Joe Biden, la victoire d’un rescapé voué à devenir pacificateur en chef (Le Monde, 7 Nov. 2020)
Par Gilles Paris
✏️ Et “jamais deux sans trois n’a été aussi vrai”. Si vous ne devez retenir que quelques petites choses.
C’est donc un jeune homme de 78 ans qui va être le 46ème président des États-Unis. Car la vie est une boucle, et que l’histoire de Joe Biden n’aurait pas déplu à notre ami Marcel Proust (avec cet épilogue qui ressemble plus au Temps retrouvé qu’au Plot against America de notre autre ami Philip Roth), lors de sa première candidature, en 1987, ce membre important de la politique américaine (entré au Sénat en… 1972) mettait en avant son âge : 45 ans. Mais le feu de la victoire n’avait pas pris : pas plus que 20 ans après face à Barack Obama, et ce malgré tout le prestige embarqué (36 années d’expérience, président de la Commission des affaires étrangères et de la Commission des affaires juridiques du Sénat, etc.).
Repêché comme VP du Président Obama, Biden fut coupé dans son élan vers ce qui devait être sa candidature en 2016, le Président étant alors convaincu qu’était venu le temps de voir une femme accéder à la Maison Blanche. Mais on connaît la suite de la bataille démocratique entre l’homme d’affaires disruptif Trump et l’ancienne Secretary of State Hillary Clinton. Or c’est justement cette présidence Trump, qui vouait aux gémonies tout ce que représentait Joe Biden (i.e. l’establishment de Washington, bien que Joe Biden vint d’un milieu modeste et soit très proches des travailleurs américains), qui a joué le rôle de révélateur chimique pour l’ancien numéro 2 de la Maison Blanche.
“La course folle de la boule de démolition, qui a balayé pendant son mandat les normes communément admises et les règles tacites qui encadrent l’exercice du pouvoir aux Etats-Unis, a redonné un sens à la modération, au souci d’équilibre et de compromis incarnés par [Joe Biden]”.
Connu pour les épreuves personnelles terribles qui ont émaillé sa vie (de la perte de sa première épouse et de sa première fille à celle de son fils favori, Beau, qui était destiné à avenir radieux), Joe Biden, d’abord choisi par défaut, représente un socle de valeurs solides qui en font un Monsieur-tout-le-monde, proche des Américains.
“Joe Biden a bâti son succès sur ce socle de décence, qui n’a pas été ébranlé par le rappel comminatoire de l’affairisme aventureux de son fils prodigue, Hunter, largement relayé par les médias trumpistes.”
Aujourd’hui, le trop souvent sous-estimé Président-élu a les coudées franches pour faire rentrer l’Amérique dans une autre phase de son histoire. Bonne chance !
💪🏼 Présidentielle américaine : dix choses à savoir sur Kamala Harris, la vice-présidente de Joe Biden (France Inter, 7 nov. 2020)
Par r Xavier Demagny
✏️ Si vous ne devez retenir que 10 choses sur la première femme a accéder à la Maison Blanche sur un ticket. Et comme elle l’a dit hier sur Twitter : "Dans cette élection, il s'agit de beaucoup plus que de Joe Biden ou moi-même. Il s'agit de l'âme de l'Amérique et de notre détermination à nous battre pour elle."
Kamala Harris a appris sa victoire en faisant son jogging : je suis certain que cela va beaucoup plaire à mes amis joggers.
La VP-élue a des origines jamaïcaines et indiennes et a grandi en Californie avec un très solid background éducatif et culturel : son père était professeur d’économie (Stanford) et sa mère (disparue) chercheuse en oncologie (UC Berkeley) — tous 2 étaient militants pour les droits civiques.
Kamala Harris a été procureure puis procureure générale (et plutôt connue pour une ligne dure) de Californie.
Elle a été “première” de beaucoup de choses : première femme noire à devenir procureure de SF, puis rebelote pour la Californie, puis première sénatrice d’origine d’Asie du Sud (et deuxième femme noire), et maintenant la Maison Blanche. Chapeau bas.
C’est une dure. Au Sénat elle a été remarquée comme une des interrogatrices les plus chevronnées, confirmant en cela le style mis en exergue par son travail au sein de la justice californienne.
Dure aussi contre Biden pendant la campagne des primaires, ils ont finalement convergé, grâce notamment à sa triple expérience du pouvoir américain (judiciaire, législatif, et exécutif) et sa proximité avec feu Beau Biden.
Le Président Trump l’a traitée de “monstre” après son intervention lors du débat pour la Présidence, notamment car elle risquait selon lui de faire plonger le pays dans “le socialisme” (sic) mais aussi après son intervention au sujet de la gestion désastreuse du coronavirus par l’administration actuelle.
Le Président Obama est son premier fan !
Pour le Président-élu Biden, Kamala Harris est le complément idéal : “Le "president-elect" compte sur l'image moderne de femme fière de sa famille mixte et recomposée.”
Kamala Harris est jeune : 56 ans. Elle a donc tout le temps devant elle, par exemple pour succéder à son Président, qui aura 82 ans lors de la présidentielle de 2024.
🌎 Joe Biden just won the presidency: What does that mean for America’s role in the world? (The Atlantic Council, Nov. 7, 2020)
Par les experts de l’Atlantic Council, dont Benjamin Haddad
✏️ Vous trouverez ci-dessous une sélection sur les changements (ou pas) qui devraient être implémentés par la future Administration américaine :
Politique étrangère : Le Président voudra reconstruire les alliances. Après des années de disruption dans les relations diplomatiques, Joe Biden va donc remettre les États-Unis dans le jeu multilatéral —> “An internationalist in his DNA, President-Elect Joe Biden will seek above all else to renew our polity at home and to rebuild America’s alliances abroad, the most important asset that the United States has to navigate the world.”
Chine : on attend 2 choses de Biden : (i) savoir où il identifie les champs d’intérêts communs versus de conflits d’une part et (ii) comment il se positionne par rapport au processus de découplage des deux pays.
OTAN : il s’agira de reconstruire la confiance, avec une posture de leadership à rebâtir vis-à-vis des Européens.
Économie : ça va quand même beaucoup dépendre du Congrès, donc d’accords avec les Républicains, mais aussi en interne avec le propre parti présidentiel.
Afrique : s’il y a bien eu des progrès en matière commerciale, le soft power américain sur le continent est en déclin —> “to capitalize on its commercial push, the United States must refocus its policy in Africa on repairing these critical relationships.”
Moyen-Orient : pour les pays de la région, notamment Israël et l’Arabie Saoudite, il s’agira de dépolitiser leur relation avec Washington, notamment pour pouvoir avancer face à la menace commune iranienne. On parle donc reset.
Climat : une priorité totale pour le Président Biden, avec le retour dans l’Accord de Paris notamment.
Politique étrangère : le trumpisme ne va pas disparaître comme par magie, avec un Parti républicain qui demeure puissant… et empreint de Donald Trump, notamment sur le peu de valeur attachée aux instances multilatérales.
Merci pour votre lecture !