Chers tous,
On voudrait penser à autre chose. Au début de Dimanche Seven on comparait ce que l’on vit depuis un an à une série Netflix. En l’espèce le scénario, au moment où j’écris ces mots, patinerait quand même beaucoup. En effet, tout cela commence plutôt à ressembler à Un Jour Sans Fin, mais sans Bill Murray et Andie Mcdowell, le tout version masque FFP2, gel hydro-alcoolique et roll-over de confinement / dé-confinement / re-confinement : le genre de monde où les pré-fixes vous sauvent une langue et où les remontées mécaniques sont à l’arrêt. Le genre de films où, un peu comme dans l’excellent Dark Knight, le méchant a quand même toujours un bon coup d’avance (jusqu’à ce que Batman, finalement, se ressaisisse - Batman ici serait joué par Pfizer, Moderna, et les autres).
J’ai puisé dans mon inconscient mélodique (de New York of course) le titre de cette édition de D7 et souhaitai mettre des mots sur ce que nous ressentons tous dans cette drôle de guerre version couch potatoes plutôt que partisans. J’ai pensé à Winter Journal, un des livres autobiographiques de Paul Auster écrit au “tu”. Puis j’ai pensé à Eternal Summer, parfaite chanson du dernier album du groupe new-yorkais The Strokes (Summer is coming / Won’t go away / Summer is coming / It’s here to stay). Et oui, on vit un Eternal Summer à l’envers, ou encore Eternal Winter, et la jonction probable entre Confinement I et Confinement III sur 12 mois coulants permet ainsi de parfaitement boucler la boucle spatio-temporelle : ce n’est plus une demi-droite mais un cercle, exactement comme dans le Temps retrouvé (dernier tome de la Recherche du temps perdu pour les rares lecteurs de D7 qui ne l’ont pas entièrement lu : je plaisante hein !).
Mais, en principe, les mauvaises choses ont une fin (un peu comme vu à Washington cette semaine), et le soleil prendra la place de l’ombre : un poème d’Emily Dickinson prendra la dessus sur Hamlet de Shakespeare — il faut juste encore un peu de patience et de courage et ce malgré une incertitude qui est tout ce qu’il faut pour rendre tristes les plus méridionaux d’entre-nous.
Dickinson donc…
Bring me the sunset in a cup,
Reckon the morning's flagons up
And say how many Dew,
Tell me how far the morning leaps —
Tell me what time the weaver sleeps
Who spun the breadth of blue!
Plutôt que Shakespeare:
When sorrows come, they come not single spies. But in battalions!
A bientôt le soleil alors,
Bonne fin de weekend, Bring me the sunset in a cup (please), amicalement,
Grégory
Eléonore de Tolède avec son fils Giovanni par Bronzino, 1545 — Ce tableau est le premier portrait de l’épouse d’un chef d’État (Come de Médicis) avec son descendant. Cette peinture absolument superbe (mon D.ieu ce bleu !) représente la puissance, l’intimité, et la continuité du pouvoir des Médicis, où Éléonore jouera un rôle admirable comme épouse et comme mère.
🇺🇸 The perfect optics on Inauguration Day (CNN, 012121)
🥁 Ce que l’on retient de ce retour à la normale de la politique américaine
Un peu comme dans un film hollywoodien des années 1990, le ciel avait accordé ses éléments avec la politique pour l’investiture mercredi du Président Biden. Ainsi, un soleil aussi radieux que le sourire des nouveaux dirigeants américains avait-t-il décidé de faire son apparition quand le Président est monté on stage.
"A mere mask could not conceal Vice President Kamala Harris' beaming smile. Her glistening eyes told the whole story. In fact, every dignitary on stage displayed the kind of joyful celebration normally reserved for greeting returning war soldiers."
La thématique était aussi élémentaire que claire, nette, et précise : après la défaite et le départ de Donald Trump, il s’agissait mercredi de célébrer le triomphe de la lumière sur l’obscurité (Hollywood encore, avec ses messages très américains qui ont fasciné et façonné des générations entières à travers le monde). Comme le disait la jeune poétesse (22 ans), Amanda Gorman, lors de l’investiture :
"When day comes, we ask ourselves, where can we find light in this never-ending shade?".
Bien-sûr cette cérémonie démocrate littéralement solaire était d’autant plus remarquable qu’elle se distinguait parfaitement de l’investiture de Donald Trump, il y a 4 ans. Le thème alors n’était pas le soleil mais le glauque : l’ancienne star de la télé-réalité promettait alors de mettre fin au “carnage américain” (pour rappel, au moment de son départ, ou plutôt de sa chute, la très mal gérée pandémie aura causé plus de 400.000 morts au États-Unis).
Le speech de Joe Biden faisait écho à la situation pour le moins challenging du pays et il a donc, sans surprise, prôné cette unité et cet attachement à la démocratie qui a tant fait défaut au pays ces derniers mois. Avant de faire référence, comme Abraham Lincoln en 1863, à son âme : “My whole soul is in this.”. Son âme qui justement est suffisamment forte pour proposer la paix à ses adversaires : “We must end this uncivil war” a dit le nouveau Président.
🤳🏼 How 2020 killed the Instagram brand (Digiday, 122821)
Par Anna Hensel
🥁 Alors, les marques doivent-elles dire au-revoir à Instagram ?
Everybody knows. Cela fait déjà de longues années qu’Instagram a été “la” plateforme de lancement pour les marques. Cela a d’ailleurs créée l’ère des startups direct-to-consumer. L’idée était simple : vendre en direct (online) des produits achetés normalement dans le retail traditionnel. Exemple = Away dans les bagages.
Seulement voilà, avec toutes ces marques à l’esthétique plutôt répétitives qui déferlent sur Insta, on commence à ressentir un certain déjà-vu :
"With so many brands congregating there, a certain sameness began to seep into their branding identities: the same sans-serif font, the same pastel-adjacent colors like millennial pink and sage green."
Du coup, de plus en plus de marques, notamment celles qui visent la génération Z, tachent de bâtir leur communauté grâce à des plateformes alternatives, comme Twitter, jusque-là plutôt délaissé pour ça, et TikTok. C’est le cas par exemple de la marque TOPICALS, qui vend des produits contre l’acné et défend une image plus réaliste et directe avec ses consommateurs que de nombreuses digital brands. Et TOPICALS s’appuie sur… Twitter.
En somme :
[...] instead of positioning their products as ones that could swing open the gates to a breezy, minimalist lifestyle, brands are increasingly trying to stand for something bigger, centering their social media strategy around busting taboos or reaching customers that have historically been overlooked.
🇨🇳 China reports strongest growth in two years after Covid-19 recovery (The Guardian, 012821)
Par Larry Elliott
On peut voir le verre à moitié vide : avec 2,3% de croissance du PIB en 2020, la Chine a réalisé sa moins bonne performance depuis 1976. Mais on peut aussi le voir à moitié plein : au quatrième trimestre, le géant a connu sa plus forte croissance en rythme annuel en 2 ans avec 6,5% (waou) versus 4,9% au trimestre précédent (idem).
Comment expliquer cette sûr-performance versus le reste du monde (la plupart des grandes économies ont vu leur PIB nettement reculer en 2020 avec des estimations allant de -4% pour les US à -10% pour la France, le UK ou l’Italie) ? —> (i) une gestion pour le moins efficace de la pandémie, (ii) un plan de relance robuste de l’économie, et (iii) une forte demande internationale pour les produits manufacturés en Chine (i.e. au niveau mondial la demande s’est reportée des services — on consomme forcément moins quand on est sous distanciation-sociale-lockdown-couvre-feu-re-lockdown, etc. — vers les biens, des biens venant beaucoup de Chine donc, C.Q.F.D.).
Comment se décompose cette croissance ? —> La bonne tenue de l’économie chinoise a davantage été poussée par la croissance de la production industrielle (7,3%) que par celle de la consommation intérieure (4,6%). A noter que la production industrielle devrait finalement être impactée par le retour à la normale des patterns de consommation des clients de la Chine (i.e. plus de services et moins de biens), mais la question, pas du tout accessoire, est quand ?
Et après ? —> la croissance devrait ralentir au deuxième semestre, notamment sous l’effet du retrait du plan de relance. Mais ça restera quelque-chose d’impressionnant comparé à notre chère Europe.
💸 Baupost’s Seth Klarman compares investors to ‘frogs in boiling water’ (FT, 012221)
Par Ortenca Aliaj et Eric Platt
🥁 Que retenir de la lettre envoyée par le légendaire fondateur du hedge fund Baupost — 30 milliards de dollars sous gestion et aux performances inférieures au marché en 2020 — Seth Klarman à ses investisseurs ?
Le postulat est simple et on le répète ici depuis bientôt 1 an : les liquidités colossales mises à disposition par les banques centrales combinées aux politiques de relance budgétaire sans précédent ont totalement disrupté les mécanismes traditionnels de fixation des prix sur les marchés. Résultat des courses : à la recherche éperdue de yield, ces liquidités poussent les marchés encore et encore à la hausse. Une donnée à retenir : les actions américaines sont en hausse de… 75% depuis leur plus bas de mars 2020 !
Seth Klarman fait donc une réflexion de bon sens : il y a tant d’argent sur le marché et les mécanismes de pricing sont devenus si inopérants qu’il est devenu impossible de mesurer le véritable état de l’économie américaine. Vous allez me demandez de quoi on se plaint ? La réponse est simple : le contexte euphorisant fait que l’on risque de ne plus percevoir le vrai danger qui pèse sur l’économie, le gérant citant l’exemple des crapauds qui ne réalisent pas que l’eau est en train de bouillir à ébullition (souvenir de confinement I et des joies domestique pour ma part : je vois désormais ce que ça veut dire cette affaire d’ébullition).
“The market’s usual role in price discovery has effectively been suspended.”
Cela soulève par ailleurs un problème majeur : favoriser une reprise en K = les plus forts deviennent encore plus forts et les plus faibles encore plus faibles. Et ce type ne reprise ne peut être satisfaisante à long terme car, pour reprendre l’exemple de l’eau qui bout, cela peut provoquer de graves tensions sociales dues aux inégalités (cela me fait penser à cet article du Monde de cette semaine sur LREM qui craint, devinez quoi, un printemps social).
Et pour illustrer son propos sur la déconnexion des marchés avec les fondamentaux, le fondateur de Baupost de s’appuyer sur l’exemple de… Tesla bien-sûr. En effet, les taux bas font que les cash-flows * futurs * sont d’autant mieux valorisés — du coup les projections lointaines valent beaucoup plus que le présent, aussi tangible soit-il.
Le dernier problème, et pas des moindres, c’est la dette. Là aussi c’est euphorisant et là aussi c’est un danger. D’où la petite musique qui monte sur la limite du soutenable en termes d’endettement. Le quoi qu’il en coute va finir, inévitablement, par coûter quelque-chose.
🏴☠️ Netflix Will No Longer Borrow, Ending Its Run of Debt (New York Times, 011921)
Par Edmund Lee
🥁 Historiquement Netflix a du emprunter des milliards pour financer sa base de contenus que vous aimez tant pour ces longues soirées de confinement (ou couvre-feu, ou les deux, je ne sais plus trop). Mais, the times, they change.
La stratégie de Netflix dans le streaming est claire. Accumuler autant de contenus que possible pour prévoir le jour ou Hollywood aussi s’y mettrait, au streaming. Du coup Netflix avait besoin d’emprunter pour financer son contenu car tout bêtement ses revenus ne couvraient pas à la fois la production de contenus et ses opérations normales (loyers, salaires, etc). Le géant a donc emprunté 16 milliards de dollars en 10 ans. Et beaucoup disaient que ce rythme n’était pas soutenable. Mais cette stratégie audacieuse de Reed Hastings, le CEO, digne d’un grand maitre d’échec ou de Napoléon, a fonctionné :
“The risk was clear: If Netflix didn’t generate enough cash by the time the debts came due, it would be in serious trouble. Mr. Hastings was betting that the company could attract subscribers (and raise its prices) faster than the debt clock was ticking. (Netflix was surprised that Hollywood waited years to jump into digital television, giving it an even bigger lead.)”
Comme le dit l’article : “The gambit seems to have worked”. Netflix aura toujours un paquet de dettes (10 à 15 milliards de dollars) mais assez de cash flows pour les rembourser… tout en maintenant un catalogue qui aura toujours un train d’avance sur la concurrence (Amazon, Disney, HBO, etc.).
Et c’est vrai que Netflix surfe sur une vague époustouflante : presque 204 millions d’abonnés dans le monde, dont 66 aux US, et +8,5 millions au Q4 et en anticipe encore +6 de plus au Q1 2021. Ce seuil de 200 millions d’abonnés est important et représente un vraie seuil dans la couverture de la structure de coûts de Netflix (un peu comme le nombre minimum de voitures à produire pour un constructeur auto).
"Getting to over 200 million subscribers allowed Netflix’s operating profit to expand significantly, jumping 76 percent in 2020 compared with 2019. "
💛 The pandemic is showing us which friendships are worth keeping (The Washington Post, 012221)
Par Lisa Bonos
🥁 Pour le moins intéressant. Small, parfois, is beautiful.
Pour beaucoup de personnes à l’intense vie sociale, la distanciation et les lockdowns auraient pu impliquer un certain manque. Mais avec désormais une quasi année de recul, ce n’est pas forcément le cas, par exemple pour cette Américaine mère de famille :
In some ways, keeping a tighter circle during the pandemic has been difficult, she admits. But she went into the lockdown in March feeling socially hung over — and overall her quieter life has felt restorative. “I detoxed from all the social connecting I was doing,”
De même que la pandémie nous a appris qu’il n’était pas forcément nécessaire d’être assis à côté de ses collègues au bureau chaque jour de la semaine, on a aussi pu apprendre que focus sur un groupe, en quelque-sorte, de très-proches pouvait être un choix mentalement et physiquement judicieux : le Washington Post appelle cela une “pared-down social life”.
L’analyse psycho-sociologique est claire. Les réseaux sociaux donnent faussement le sentiment d’avoir jusqu’à des milliers d’amis. La vie normale fait que l’on peut maintenir des relations amicales at scale (car on voit davantage de monde). Mais la pandémie fait que (i) on ne peut plus voir tout le monde et (ii) on a des choses plutôt profondes à dire, si ce n’est pas légèrement métaphysiques de temps en temps. Du coup pouvoir s’appuyer sur un petit nombre — un peu l’esprit des confident.e.s — peut avoir, il faut l’avouer, pas mal de sens, les réseaux sociaux fournissant autre chose (c’est complémentaire et pas exclusif : j’ai appris pour ma part depuis longtemps à me méfier des principes binaires).
Nelson, the friendship expert, predicts that some people willnever return to pre-pandemic levels of party-hopping and calendar-packing. “We’ll have to be more thoughtful,” she says. “We can’t say yes to everything. We don’t want to say yes to everything anymore.”
🎨 Vente aux enchères : ce tableau de Soulages qui fit « vaciller » Léopold Sédar Senghor (Le Monde, 012221)
Par Roxane Azimi
🥁 L’art, c’est la vie. Hier ce tableau de Soulages a été adjugé près de 1,2 m€ dans une vente organisée par Caen Enchères. Bravo à cette maison ! L’occasion de se replonger dans ce à quoi peut ressembler une vie où le pouvoir et la poésie, le goût des autres et celui de la culture, peuvent joliment se mêler et s’entremêler : MM. Soulages et Sédar Senghor, la scène est à vous.
Posons les personnages de cette pièce d’abord. D’un côté il y a Léopold Sédar Senghor, homme d’État et de culture — rapide rappel bibliographique avec Wikipedia.
De même que Marc Aurèle était empereur-philosophe donc, Léopold Sédar Senghor était poète-président. Tout ce qu’on aime à Dimanche Seven. Mais pour aller un peu plus loin, voici un extrait d’une poésie du Président :
C'est
Dimanche.J'ai peur de la foule de mes semblables au visage de pierre.
De ma tour de verre qu'habitent les migraines, les
Ancêtres impatientsJe contemple toits et collines dans la brume
Dans la paix — les cheminées sont graves et nues.
A leurs pieds dorment mes morts, tous mes rêves faits poussièreTous mes rêves, le sang gratuit répandu le long des rues,
mêlé au sang des boucheries.
Et maintenant, de cet observatoire comme de banlieue
Je contemple mes rêves distraits le long des rues, couchésau pied des collines
De l’autre côté il y a Pierre Soulages, un des plus grands peintres vivants, jeune homme de 101 ans qui a apprivoisé la couleur noire comme personne, et à qui a été consacré une puissante rétrospective au Louvres juste avant que les choses dans le monde ne tournent mal au premier trimestre de l’année dernière (on ne savait alors pas porter le masque — rappelez-vous, d’ailleurs il n’y en avait juste pas !). Wikipedia encore :
Vous avez donc le président-poète qui achète une toile du maitre de l’outre-noir, le tout par l’intermédiaire de… Georges Pompidou. Le futur Président français et grand amateur de poésie (lui même auteur de la magnifique Anthologie de la poésie française) était un camarade du futur Président sénégalais à Louis-le-Grand, qu’il initiera à Soulages, dont il a accroché une toile à Matignon. La boucle est (élégamment) bouclée.
Au milieu de la scène, il y… un tableau de Soulages.
En 1956 donc, Sédar Senghor achète cette toile (voir ci-dessous) directement à l’artiste. Dans cette toile, classique de cette époque pour Soulages, on peut y voir ce que l’on souhaite : un idéogramme, un totem, etc.
Et ce sera une passion artistique que le premier président du Sénégal vouera ainsi à Soulages, qu’il exposera par la suite à Dakar, l’idée étant que les cultures, bien-sûr, s’influencent entre elles.
"En 1960, dans les Cahiers du musée de poche, Senghor va jusqu’à saluer en lui le « poète des temps nouveaux », qui a rempli sa mission de « nous divertir de la monotonie mortelle de la prose quotidienne »."
Merci à tous pour votre lecture ;)
Bonne fin de weekend !