Chers tous,
Alors que 2021 va bientôt tirer sa révérence, avec son lot de joies et de tristesses, d’heureux hasards et de malheureux déjà-vus, nous avons voulu cette semaine mettre en avant le concept philosophique de l’ataraxie (du grec ἀταραξία). Comme souvent, nous allons donc nous référer à Wikipedia :
« L'ataraxie (du grec ἀταραξία, signifiant « absence de troubles ») apparaît d'abord chez Démocrite et désigne la tranquillité de l’âme ou encore la paix de cette dernière résultant de la modération et de l’harmonie de l'existence. L’ataraxie devient ensuite le principe du bonheur (eudaimonia) dans le stoïcisme, l'épicurisme et le scepticisme. Elle provient d’un état de profonde quiétude, découlant de l'absence de tout trouble ou douleur. »
Dans un monde où l’on n’a pratiquement aucune idée de quoi demain sera fait l’ode à l’ataraxie peut ressembler à une première ébauche de réponse. Chère à toutes ces écoles philosophiques qui comptent pour beaucoup d’entre-nous – des stoïques aux épicuriens en passant bien-sûr par Baruch Spinoza – l’ataraxie prône la tranquillité de l’âme (la fameuse citadelle intérieure de l’empereur-philosophe stoïque Marc Aurèle). En italien, cela pourrait sonner comme « va bene ».
Dans D7 cette semaine, quelques papiers sur le monde qui bouge – du Web3 qui va révolutionner nos vies aux startups qui les révolutionnent parfois déjà – mais aussi une pensée pour les Afghans qui meurent littéralement de faim – victimes collatérales de la (re)prise de pouvoir par le régime taliban — visiter le site de World Food Program de l’ONU pour en savoir plus ici.
Bon dimanche, prenez-soin de vous,
Grégory & Sacha
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© Chris Torres, Nyan Cat. Image courtesy of Chris Torres (vendu pour c. 600.000 $ en mars dernier)
🎷 Spotify Wrapped, unwrapped (Vox, 2. Dec. 2021)
Par Kelly Pau
Résumé en 1 phrase : Spotify Wrapped nous offre un quart d’heure de célébrité, mais en échange de beaucoup de nos données et au prix d’une simplification de notre personnalité.
Un mois de décembre n’est pas un mois de décembre sans sapin de Noël ni screenshots de Spotify Wrapped dans les stories Instagram.
L’on se plie avec bonheur à cet exercice depuis 2015 (il s’intitulait alors A Year in Music). C’est qu’il célèbre nos penchants mélomanes et rend grâce à la singularité exquise de nos pratiques culturelles - Spotify sait nous flatter.
Pour ma part, j’ai appris que j’avais écouté 99 genres différents cette année ; que mes ambiances musicales préférées étaient le charme et la mélancolie (?) ; qu’enfin s’il m’advenait de faire une déclaration d’amour sous la pluie (?), cela serait au son du très délicat Police & Thieves du falsetto jamaïcain Junior Murvin.
Spotify Wrapped met surtout en évidence la puissance de la data collectée par l’application au fil des années, qui est souvent cité comme un facteur différenciant par ses utilisateurs. Ce sont ces data massives et diverses (et leur habile traitement algorithmique) qui sont au fondement du spotify weekly.
Ces algorithmes font cependant l’objet des mêmes critiques que l’ensemble des algorithmes (ndlr : elles sont parfois un peu surfaites). Celles-ci portent sur de possibles biais racistes, l’extension d’une société de la surveillance, ou d’éventuelles imprécisions. En tout état de cause, Spotify obtient des données très fines, y compris sur nos humeurs et les revend à des entreprises tierces.
Ils participent surtout à la cristallisation d’une certaine société de l’image (selon l’expression forgée par Christopher Lasch) virtuelle, où l’on exposerait sa persona sur un mode immédiat et un peu simpliste.
De ce point de vue, Spotify Wrapped pourrait sembler narcissique (l’article rapporte le témoignage d’utilisateurs qui aiment “regarder les Wrapped des autres pour se sentir moins mainstream”).
De manière générale, Spotify promouvrait une identité factice - sur la base de données brutes, elle construirait un récit stéréotypé (tout le monde est certes singulier ; mais les originalités graphiques de Spotify Wrapped sont les mêmes pour tout le monde) et excessivement catégorisant (pour peu qu’on ait écouté tel ou tel artiste, Spotify nous classe vite comme un fan de “Japanese Urban Pop”).
La vérité est sans doute à mi-chemin : on offre des données à Spotify ; Spotify nous offre un quart d’heure de célébrité (peut-être moins).
“I like that Spotify is sharing their stats with you,” said McBride. It’s “like you’re an MLB star for listening to music.”
🕸️ Welcome to ‘Web3.’ What’s That? (Dealbook, 5 Dec. 2021)
Par Ephrat Livni
Résumé en 1 phrase : Les usages de plus en plus nombreux et massifs de la Blockchain ouvrent la voie à l’avènement d’un Web3 régi par les tokens cryptographiques, qui serait plus démocratique et reposerait moins sur des intermédiaires.
Au delà des crypto-monnaies (dont la valorisation totale atteint aujourd’hui 2,3 trillions de $), le block-chain connaît des applications extrêmement variées et de plus en plus populaires.
Ainsi, les partisans du Blockchain aiment à imaginer un futur où internet sera régi par les tokens cryptographiques, ce qui serait supposé en faire un espace radicalement plus démocratique et désintermédié.
A titre d’exemple, le réseau social alternatif DeSo, utilise la Blockchain pour rémunérer ses utilisateurs pour leur participation - ce qui revient à les rémunérer pour les données qu’ils fournissent, leur permettant ainsi de capturer la valeur qu’ils créent plutôt que de l’offrir à un réseau comme Twitter.
L’usage de la Blockchain doit aussi permettre de renforcer la solidarité et les interactions entre usagers, qui peuvent s’encourager au moyen de petits dons.
Any users can be rewarded for their musings, music or mere presence via tokens or “frictionless tipping,” with a diamond button that allows others to send a bit of crypto their way in appreciation of whatever they do or say.
“The vast majority of the benefits go to the smaller creators who people have always wanted to support,” Mr. Al-Naji said.
La principale zone d’ombre est la pérennité de l’ensemble des crypto-monnaies sur lesquelles sont adossées ces applications (ou ces NFTs).
When he taught courses on crypto finance at the Massachusetts Institute of Technology just before leading the S.E.C., Mr. Gensler told his students to ask, “Where is the value proposition?” Are all of the crypto tokens that are competing with the dollar, or forming the basis of an app, valuable?
“The answer might be maybe,” he said. “But is there room for 6,000 of them? Highly unlikely.”
🏦 What are DAOs? Here’s what to know about the ‘next big trend’ in crypto (CNBC, 25 Oct. 2021)
Par Taylor Locke
Résumé en 1 phrase : depuis quelques mois, les Decentralized Autonomous Organizations (DAO) prennent de plus en plus de place dans le monde de la crypto : en effet, cela permet à des groupes de gens unis par le protocole de la blockchain d’investir en communauté pour des montants parfois très importants.
Une Decentralized Autonomous Organization ressemble à un fonds d’investissement sans être à proprement parler un fonds. Une DAO fonctionne sur le protocole blockchain et permet à un groupe de se réunir soit pour opérer un projet blockchain soit pour investir.
“DAOs can come in all shapes and structures, but simply put, “a DAO is an internet community with a shared bank account,” Cooper Turley, an investor and builder of several popular DAOs, tells CNBC Make It.”
Concrètement, en général, un groupe se réunit sur un “chat” et décide de s’allier pour par exemple réaliser un achat. On crée alors son propre DAO.
Quelques exemples de DAO connus :
The PleasrDAO : collectionne les NFT et investit.
Le DAO Komorebi Collective : investit dans des fonds dirigés par des femmes et des fondateurs de crypto non-binaires.
Le MetaCartel Venture : investit dans des projets early stage d’applications décentralisées.
Les DAO sont “the next big thing” car ils permettent de réunir rapidement du capital pour par exemple se mesurer aux gros acheteurs classiques, le tout en général sous forme de communauté.
Les DAO sont en quelque-sorte un communauté internet… avec un compte en banque.
Lately, a number of DAOs have started to grab the attention of more conventional investors, including billionaire Mark Cuban, who called them “the ultimate combination of capitalism and progressivism.”
Dernièrement, on a beaucoup parlé du DAO qui avait réuni 47 millions de dollars pour acheter un exemplaire de la constitution américaine, sans y parvenir, ce qui a posé ensuite toute une série de problèmes.
De nombreuses limites et menaces pèsent sur les DAO : de leur valeur intrinsèque à leur gouvernance en passant par la régulation. Sans oublier des sujets techniques quand par exemple on échoue à réaliser un achat, car les “gas fees” sont élevés, ce qui veut dire que si on ne parvient pas à faire une acquisition on ne récupère pas 100% de sa mise — des frais de gestion en quelque-sorte.
🎨 Small Group of Insiders Is Reaping Most of the Gains on NFTs, Study Shows (Bloomberg, 6. Dec 2021)
Par Joanna Ossinger
Résumé en 1 phrase : sans vraie surprise, une étude récente montre que ce sont les investisseurs les plus sophistiqués qui font les meilleures affaires en NFT, spécialement via les fameuses “white list” (qui permettent d’acheter les NFT en avance).
Dans une étude, la société d’analyse spécialement dans les cryptos Chainalysis a mis en exergue plusieurs enseignements assez intéressants sur les NFT. Petite synthèse ci-dessous :
Une petite partie des participants autour de la “craze” des NFT tire le gros des profits.
Investir fréquemment et dans une large palette d’actifs génère les profits les plus élevés.
Être en “whitelist” (pouvoir acheter avant les ventes publiques et à un prix plus faible) augmente les chance de profits.
Users who make the whitelist and later sell their newly-minted NFT gain a profit 75.7% of the time, versus just 20.8% for users who do so without being whitelisted, Chainalysis said, citing Opensea data.
Cette pratique du “whitelisting” est un classique du monde de la crypto.
🦄 Lydia, Doctolib, Blablacar… : ces 7 licornes françaises qui font partie de notre quotidien (Les Echos, 8 Dec. 2021)
Par Pauline Verge
Résumé en 1 phrase : Parmi la vingtaine de startups non-cotées valant plus de 1 milliard d’euros, pas moins de 6 ont littéralement changé notre quotidien ; Lydia, qui a dépassé ce seuil symbolique cette semaine, est l’une d’elle.
Back Market (valorisée 3 milliards de dollars) : la place de marché de référence sur le reconditionnement est devenu une des marques favorites des consommateurs.
Mano Mano (2,6 milliards de dollars) : la place de marché du bricolage et du jardinage, qui a connu un énorme boom de son activité avec le premier confinement.
Blablacar (2 milliards de dollars) : une des licornes historiques de l’écosystème fondée en 2006 et qui a fait entrer le covoiturage de la vie de 20 millions de membres en France et s’est depuis diversifiée, notamment dans les trajets en autobus.
Voodoo (1,4 milliards de dollars) : 300 millions d’utilisateurs jouent chaque mois à ses jeux sur téléphone (comme Cube Surfer ou Stack Colors).
Doctolib (1,1 milliard de dollars) : déjà importante, le géant de la réservation de rendez-vous médicaux est rentrée dans la vie de tous les Français avec la vaccination contre le nouveau coronavirus (75 millions de rendez-vous ainsi pris et 47 millions de comptes en France).
Veepee (1 milliard de dollars) : l’ancien Vente Privée est un poids lourd du e-commerce et a joué un rôle majeur dans son accélération en Europe.
Lydia : la plus récente licorne française et la fintech qui a révolutionné le paiement entre particuliers avec 5,5 millions d’utilisateurs est devenue la néo-banque de nombreux français, notamment les “millennials”. Dernier “add-on”, le trading.
🇦🇫 Facing Economic Collapse, Afghanistan Is Gripped by Starvation (New York Times, 4 Dec. 2021)
Par Christina Goldbaum
Résumé en 1 phrase : 4 mois après la prise de pouvoir par le régime taliban, la nation afghane fait face à une famine historique qui pourrait tuer cet hiver 1 million d’enfants. Abominable.
Rappelez-vous. Dans la torpeur de l’été, le régime afghan soutenu par l’OTAN s’effondrait, à la surprise pas si générale, comme un chateau de cartes. En guise de représailles à la prise de pouvoir talibane, l’aide internationale s’est considérablement tarie, les fonds de la banque centrale ont été gelés, et les échanges ont drastiquement diminué.
Résultat : l’Afghanistan meurt de faim :
“Nearly four months since the Taliban seized power, Afghanistan is on the brink of a mass starvation that aid groups say threatens to kill a million children this winter — a toll that would dwarf the total number of Afghan civilians estimated to have been killed as a direct result of the war over the past 20 years.”
22,8 millions d’Afghans, soit la moitié de la population, risque ainsi un péril mortel en raison de cette malnutrition qui mine le pays depuis des décennies. Selon l’ONU, près de 9 millions de personnes sont proches de la famine (le degré maximum d’une crise alimentaire).
A l’effondrement économique lié à l’isolation du pays après la chute de l’ancien gouvernement, s’ajoute la sécheresse qui désole les terres. Sans travail, sans récoltes, les Afghans sont donc au bord du gouffre. Et c’était sans compter sur un hiver désormais glacial.
Du coup, aussi bien le régime afghan que les Américains font face à une pression considérable — et ce alors que plus globalement la faim dans le monde a explosé.
Une des solutions : découpler le politique et l’humanitaire pour sauver des vies.
🤝 Learning Sixteenth-Century Business Jargon (Lapham’s Quarterly, 29 Nov. 2021)
Par Edmond Smith
Résumé en 1 phrase : Les marchands du XVIème siècle préfiguraient nos sociétés libérales et démocratiques - dans leurs grandeurs comme dans leurs excès.
Si l’ambition vous prenait de devenir un marchand anglais du seizième siècle, il vous faudrait en priorité apprendre à parler une ou deux langues étrangères.
Ainsi, l’ouvrage (sans doute excellent) d’Edmond Smith sort de l’oubli l’existence d’un certain Mr. Brund - un marchand dont les compétences étaient remises en cause par ses collègues de la Compagnie des Indes Orientales, mais qui finit par en devenir un des principaux dirigeants car il maîtrisait le portugais, l’espagnol, et l’arabe.
Les compagnies commerciales mettaient en oeuvre des stratégies lourdes et complexes pour enseigner des langues supplémentaires à leurs marchands.
Similarly, in order to obtain a loyal and English, but linguistically capable administrator for their activities in the Ottoman Empire, the Levant Company considered “whether it was not meet to breed up an Englishman in the ambassador’s house [in Constantinople] to be the secretary after Signor Dominico.”
De manière générale, la culture d’entreprise des compagnies commerciales impliquait (i) une très grande fidélité ; (ii) une honnêteté sans faille ; (iii) une bonne morale.
In a similar vein, the company combated the temptations many members might have felt, living for years or decades overseas, by insisting “no married man of this fellowship shall keep or hold any harlot, light or evil disposed woman, or abuse himself with any such.” If a married member was caught three times in this position he would be expelled from the company.
Ces récits sont émouvants ; ils évoquent un passé bien révolu et non dépourvu de part d’ombre (la conséquence des échanges commerciaux avec certains pays extra-européens fut leur colonisation), mais qui fut une étape décisive de la construction de nos démocraties libérales. Certaines valeurs des marchands - discernement et goût du risque ; curiosité et rigueur - irriguent encore nos sociétés (et parfois insuffisamment).